Il y a bien longtemps, la Saint-Jean…
Par Karin Monié. Traduction : Caroline Chevallier
Dès le début du mois de mai, on commençait les préparatifs de la première des deux grandes fêtes de l’année, la Saint-Jean (ou «Midsommar»). Le linge, qu’on avait gardé depuis Noël, était lessivé dans l’eau vive de la rivière ou dans le canal, enfin libérés des glaces; l’on faisait cuire du pain de seigle, du pain blanc, et au moins trois ou quatre sortes de galettes, et l’on brassait différents types de bière, plus ou moins alcoolisée. Autour des maisons, on déblayait, on ratissait, et on coupait l’herbe.
La veille du grand jour, tôt le matin, les marteaux qui battaient la mesure des jours ordinaires se taisaient. Les forgerons, noirs de suie, empruntaient la rue de Nederhammar et rentraient chez eux, rue du Nord, Grand Rue, rue du Sud. Là, ils se savonnaient, et la suie noire des longues journées de labeur se dissipait dans les baignoires de fortune, que formaient des tonneaux scindés en leur milieu. Les artisans, eux – ils étaient assez nombreux sur le site – continuaient à travailler jusqu’à midi, tandis que les forgerons ressortaient déjà en chemises blanches toutes propres, et prenaient un café sur le pont, pavoisé pour l’occasion avec des branches de bouleau.
Dans le vieil entrepôt, les femmes allaient chercher les harengs de la Saint-Jean: quatre gros poissons pour les familles, et deux pour les «pensionnés»1. On allait récupérer la bière au Tertre de la Glacière, tandis que résonnaient les accords des nyckelharpas de Vilhelm Tegenborg et de Jan Erik Jansson. Parfois, un vieux boiteux surnommé «La Quinte» arrivait en renfort, mais cela se produisait surtout pendant la danse.
A dix-huit heures, on dressait le mât, qui avait été soigneusement décoré la veille. Le baron sortait du manoir et le sextuor «Broström», la fanfare de la forge, commençait à jouer.
Près du mât se trouvaient deux pistes de danse, dont l’une était réservée aux martineurs. On dansait la moitié de la nuit, mais pas plus longtemps. Il fallait garder des forces, car les festivités n’atteignaient leur apogée que le lendemain, jour de la Saint-Jean. Ce jour-là, c’était l’apothéose, et les célébrations s’intensifiaient sous les effets de la bière. Une farandole serpentait allègrement autour des pistes de danse, longeait l’étang, traversait le canal, et descendait vers la volière avant de revenir, par les pavillons arrondis, vers les estrades.
La tradition de la Saint-Jean a longtemps été suivie. Les célébrations se sont déplacées vers le parc public, où l’on a dansé pendant des décennies. Ces danses, aujourd’hui, ont probablement disparu.
Quoique…! Je feuillette le magazine du village de Lövsta, qui vient de paraître. Et cette année encore, quelques joyeux amateurs sont venus au Tertre de la Glacière, pour fêter la Saint-Jean et goûter la bière, au son du violon, de la nyckelharpa et de l’accordéon! Depuis quelques années, c’est revenu! Peut-être est-ce en train de redevenir une tradition? Une tradition qui repose sur une mémoire bien ancienne.
NOTE
1. On appelait ainsi les personnes qui ne pouvaient pas elles-mêmes subvenir à leurs besoins et que l’administration de la forge prenait en charge: les vieux et les orphelins faisaient partie de cette catégorie.
Litteratur:
Birger Steen, Baronernas Leufsta. Om brukslivet i norra Uppland på baronernas tid. Efter f.d. brukskamreren Joel Godeaus berättelse. Uppsala 1966
Vilhelm Monié, Minnen från Leufsta bruk 1900–1927. Sollentuna 2000
Lövstabygden. November 2016