Le fer
Par Karin Monié. Traduction : Caroline Chevallier
L’usine de Lövsta – autrefois orthographié ”Leufsta” – est une ancienne forge dont les origines remontent au Moyen-Âge. Dans les premiers temps, l’endroit, situé au bord de la rivière de Risfors, devait son activité aux paysans, mais il devint propriété de la couronne en 1596. L’entreprise s’agrandit et dépassa bientôt les frontières paysannes. Lövsta est une des nombreuses forges du nord de l’Uppland qui peuvent se prévaloir d’une longue histoire. Les conditions de l’industrie du fer, dans cette région, étaient réunies : on trouvait non seulement le minerai, provenant principalement des mines de Dannemora, mais aussi un sol plat, boisé et irrigué. La forêt donnait du charbon pour alimenter les hauts fourneaux et les ateliers de forge. L’eau vive des rivières actionnait les roues hydrauliques qui, à leur tour, actionnaient les marteaux dans les ateliers.
Au cours du XVIIe siècle se développa à Lövsta, tout comme dans d’autres forges d’Uppland, une activité industrielle d’envergure, avec une production de fer marchand fonctionnant toute l’année. Cette évolution se différencie en cela du modèle adopté dans le reste de la région minière, où les mineurs travaillaient seulement de façon saisonnière. En 1615, le domaine de Lövsta possédait déjà quatre hauts fourneaux, cinq martinets et un atelier de forgeron.
En 1626, l’exploitation fut confiée à Willem de Besche (1573–1629), qui s’associa l’année suivante à Louis De Geer (1587–1652). Tous deux étaient des Wallons originaires de Liège. Louis De Geer acheta le domaine en 1643. Lövsta faisait à ce moment-là partie d’un complexe plus étendu, englobant Gimo et Österby. L’usine de Forsmark fut également ajoutée au contrat. On y fabriquait des boulets de canon, tandis que Lövsta produisait surtout du fer brut, en barres de grande dimension, pour le marché d’exportation. Le fer était transporté par voie maritime. A partir du XVIIIe siècle, il partait en péniche de son lieu de stockage, dans l’entrepôt de Ängskär, sur la côte de Hållnäs, vers Öregrund, pour être déchargé, puis rechargé, et envoyé vers Stockholm où il était pesé; de là, il était expédié vers Hull, en Angleterre, puis redirigé vers Sheffield.
La fabrication du fer s’effectuait avec de nouvelles techniques venues du continent. Les immigrés wallons faisaient progresser l’art de la forge et les méthodes d’obtention du charbon. Le charbon de bois et l’eau constituaient les sources d’énergie indispensables. Des termes comme «affinage wallon »ou« charbonnière en meule »étaient gages de qualité et d’efficacité. Dans les forêts qui entouraient Lövsta, les charbonnières – ces lieux où l’on produisait du charbon par combustion lente du bois – étaient nombreuses. L’eau provenait de la rivière de Risfors, elle-même alimentée par les vastes marécages de Florarna et les lacs environnants.
Deux grands tableaux, au manoir de Lövsta, donnent un aperçu de l’usine telle qu’elle apparaissait au XVIIe siècle. L’un est un panorama datant d’environ 1660, qui donne une idée à la fois de l’étendue de l’usine et des différents édifices. L’artiste n’est pas connu. L’autre date d’environ 1700 et montre l’usine telle qu’elle était avant la catastrophe de 1719, quand tout le domaine fut incendié par les Russes, dans le sac qu’ils menèrent sur la côte est de la Suède.
L’usine fut rapidement reconstruite et prit, dès la première moitié du XVIIIe siècle, l’apparence qu’elle a encore de nos jours. Lövsta devint la plus grande forge de Suède. Grâce au savoir-faire importé par les Wallons – l’affinage wallon –, on fabriquait un fer marchand d’excellente qualité. Ce fer en barre, estampillé d’un «L», avec une entaille soigneusement placée dans la lettre et le poinçon «leufsta sweden», fut pendant longtemps le premier produit d’exportation du pays. Au XIXe siècle, on introduisit l’affinage de Lancashire, sur le modèle anglais.
L’entreprise demeura dans la famille de Geer jusqu’à la vente de l’activité, en 1917, à la société Gimo-Österby. La forge fut exploitée jusqu’en 1926, date à laquelle la production s’arrêta, et la plupart des bâtiments servant à l’activité furent détruits. Le matériel industriel de la grande époque de l’usine a donc disparu aujourd’hui, à l’exception d’un atelier de travail de détail, et de quelques autres constructions.